Un concours  a été organisé dans ma ville le printemps dernier,

le sujet: rédiger individuellement une lettre sur le livre qui a marqué sa vie et l’adresser à un destinataire de son choix.

Amateur de jolis mots, voici pour vous la lettre du 1er prix adulte:

 

 

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Lettre à mon père, Besançon, le 18 avril 2015

Un concours est organisé dans le quartier et voilà que le besoin de t’écrire cette lettre s’impose à moi comme une évidence, un bonjour du matin au petit déjeuner…

Il est question de livres… un en particulier, celui qui a le plus compté dans notre vie!

L’idée m’a tout de suite plue! Quel plaisir de fouiller dans sa mémoire, dans sa bibliothèque mentale, à la recherche de l’élu! L’excitation est à son comble. Devant ma tasse de thé, je pose mes yeux un instant sur la fumée qui s’en échappe et me laisse emporter sur le nuage des souvenirs. Un livre, le livre…Les pages défilent. Celui-là! Ou celui-ci! Non! Lui! Je bois une gorgée et m’aperçois que la tâche est plus compliquée qu’il n’y paraît!

Comment choisir? Il me semble que chacun des livres lus a été pour moi celui qui a le plus compté dans ma vie. Je prends alors une feuille et un crayon. Il me faut éclaircir ma pensée noir sur blanc. Les mots s’affichent en ligne, puis une deuxième vient s’inscrire, une troisième. Je continue. Il me suffira de les ordonner par ordre de préférence. Mais au fur-et-à mesure que j’écris ma liste, je sens m’acheminer vers un souvenir précis. Quelque chose d’enfoui en moi au plus profond. Mon stylo ralentit, puis s’arrête. Ça y est! J’y suis presque. Je ferme les yeux. Une image s’impose. Le salon de l’appartement de Saint-Cloud. Nous avions toujours une bibliothèque. Tu es là, dans ton rocking-chair, une couverture au crochet confectionnée par maman en petits carrés colorés sur les genoux. Tu fumes ta pipe, un livre à la main. Je fais alors le siège du canapé à côté de toi après avoir attrapé un des livres qui se trouvait à ma hauteur dans la bibliothèque et qui ne sortait pas souvent de son étage. Il était de couleur marron, sentait bon le cuir et l’odeur de pipe. Il me semblait important à la vue de ses dessins dorés visibles sur la tranche. Je l’ouvrais. Je ne parlais pas. Je m’assurais simplement de temps en temps de ton regard consentant. Ton sourire me confortait alors dans ma démarche. Je tournais les pages à chaque fois que tu le faisais. J’avais trois ans à peine sous ma frange, portais un pyjama en pilou à l’effigie de Nounours dans « Bonne nuit les petits », des chaussons en cuir rouge… J’attendais maman pour rejoindre mon lit. Je devenais grande. Sur la photo de l’album, il apparaît que je tenais le livre à l’envers…

Voilà, le livre qui a le plus compté pour moi. C’est celui qui a ouvert ma route sur les chemins de la lecture. Ce plaisir d’entrer dans le merveilleux. Depuis, j’ai toujours ce frisson quand j’ouvre un livre et je crois avoir encore trois ans.

Le livre est resté longtemps rangé dans l’appartement de Saint-Cloud à me voir grandir, apprendre à lire, écrire. Puis, nous avons déménagé. Le rocking-chair, la pipe et la bibliothèque nous ont suivis.

Les années ont passé. J’ai eu dix huit ans. La maladie t’a emporté. J’ai gardé la pipe et quelques livres de la bibliothèque. Parmi eux, les œuvres complètes de Montaigne de La Pléiade. C’était bien lui, je l’ai tout de suite reconnu avec ses dessins dorés sur la tranche et sa couleur marron… Il ne sent plus la pipe, mais je sais que tu l’avais lu et depuis j’ai commencé le journal de voyage en Italie.

Tu vois, il continue de compter dans ma vie!

Mon thé est froid. J’écris cette lettre que tu ne liras pas comme le livre que je ne lisais pas sur le canapé de l’appartement de Saint-Cloud… Mais je te remercie, merci, mille fois merci pour m’avoir donné le goût des livres.

Je t’aime tant.

Ta fille, Sylvia


Sylvia, en passionnée de mots, fait des personnes lumineuses et rayonnantes que j’ai toujours un grand plaisir à rencontrer… Elle anime un atelier d’écriture à Besançon. Vous pouvez la retrouver Sylvia: ici ou